Saturday, 1 April 2017

開放空間的職場事情 (フランス語)

トィートの写真は,ジャック・タチの"Playtime"(1967)のワンシーン.下は,フランソワ・トリュフォがタチに宛てて書き送ったこの作品の感想.(Marc Dondey著『タチ』, Editions Ramsay, Paris, 1989, p211)

Vendredi 22 décembre 1967

Cher Monsieur,

Pour deviner votre état d’esprit actuel, il me suffit de multiplier par dix les sentiments de vide, de solitude et de tristesse que j’éprouve immanquablement après la sortie de chaque filmé à tout cela vient certainement s’ajouter la réflexion sur soi-même que vous inspire la fin d’une année.

Il est rare qu’un film puisse devenir aussi important pour celui qui le regarde que pour celui qui l’a fait, et c’est pour moins souffrir de ce décalage que certains artistes adoptent une attitude désinvolte ou se réfugient d’un travail dans un autre, pour ne pas se trouver synchrone avec le public, pour s’absorber dans le produit Y pendant que les « juges » décortiquent le produit X.

C’est un état d’esprit que je comprends bien et que je pratique éventuellement même si je sympathise davantage avec le vôtre, radicalement opposé. Tous vos efforts, probablement depuis 1959, consacré à Playtime et certainement jusqu’en 1969… les sorties étrangères, les exclusivités, continuations, etc.

J’étais à la première à l’Empire et je n’ai pas réussi à regarder le film comme un spectateur tellement je partageais votre anxiété; j’ai souvent écouté la salle quitte à laisser passer des gags que je me suis fait raconter plus tard par ma voisine, une jeune styliste allemande qui a adoré le film.

Playtime ne ressemble à rien de ce qui existe déjà au cinéma; aucun film n’est cadré ou mixé comme celui-là. C'est un film qui vient d’un autre planète où l’on tourne les films différemment. Playtime, c’est peut-être l’Europe de 1968 filmée par le premier cinéaste Martine, « leur » Louis Lumière? Alors il voit ce que l’on ne voit plus, et il entend ce qu’on n’entend plus et il filme autrement que vous.

L’épisode du restaurant est tellement complet et fort qu’on ne peut s’empêcher de penser qu’à lui seul il eût constitué tout un film mais vous y avez sûrement pensé, comme à tout le reste, car c’est encore un autre phénomène propre à ce film: on sent qu’on ne peut rien vous révéler sur lui et qu’on ne peut émettre aucune idée que vous ne vous soyez déjà formulée à vous-même.

Je vais aller aller revoir Playtime tout de suite après les fêtes et le regarder, enfin, en spectateur. Il m’a plus étonné que comblé, il m’a surtout rempli d’une curiosité incroyable. S’il existait un journal de travail de Playtime, rédigé quotidiennement par vous ou l’un de vos proches, je le lirais et avec quelle avidité! J’ai envie de vous interroger comme un inspecteur: « Que tourniez-vous la nuit de 13 au 14 juillet 1965? »

J’ai lu hier soir le papier de Baroncelli dans le Monde, il m’a étonné en ce que concerne les coupures que vous comptez faire, mais aussi j’ai pensé qu’il ressemble à ce que j’avais écrit il y a dix ans sur Mon oncle; un article de ce genre, honnête, neutre, assez détaillé mais réservé risque d’agacer le metteur en scène davantage qu’un éreintement partial et véhément auquel son outrance même ôte presque toute importance.

Alors pourquoi est-ce que je vous écris? Je vous envoie cette lettre parce que je vous ai vu, en bras de chemise, derrière la vitre de la cabine de projection et que je me suis dit: maintenant que Becker est mort, avec qui Tati peut-il parler de son film?A quoi ressemblerait une ville où chaque boulanger ignorerait ses confrères? A Hollywood? Non, là-bas au moins on parle chiffres même si on laisse le reste de côté. Alors voilà. Je voulais vous dire que je me réjouirai de tout ce qui arrivera de bon à Playtime ici ou là, Londres, New York, Berlin, Rome, Tokyo, que la modestie de Monsieur Hulot en fait le Monsieur Teste du cinéma, que, si l’on vous reproche de « voir trop grand », il faut vous souvenir qu’on disait déjà cela de Napoléon puis d’Abel Gance puis du Napoléon d’Abel Dance et enfin de l’Empire…

Et puis j’attends impatiemment votre cinquième film,
Bonne année, bonne santé,
Fidèlement vôtre

François Truffaut

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